Durant la campagne présidentielle, le "modèle allemand" a été dans la bouche de tous les candidats. On ne compte plus le nombre de fois ou il a été cité notamment durant le débat de cette semaine entre Hollande et Sarkozy. Mais ce modèle qui certes a fait ses preuves en matière de performances économiques et fiscales est-il une réussite pour tous ? Quel impact a-t-il eu d'un point de vue social ? Les allemands profitent-ils vraiment de cette réussite ? Retour sur les réformes engagées outre-Rhin ces dernières années.
Les réformes Hartz
On ne peut parler du marché du travail allemand sans citer les réformes Hartz engagées entre 2003 et 2005 par le chancelier Gerhard Schröder. Cet ensemble de lois c'est fait en quatre étapes (Hartz I, II, III et IV). Les lois Hartz I à III ont permis de largement réformer le système d'embauche (plus de flexibilité, amélioration de la prise en charge des chômeurs...). Mais il s'agit de la Loi Hartz IV qui est la plus controversée. D'ailleurs, le peuple allemand, soit disant peuple docile, a manifesté plusieurs semaines contre cette réforme qui allait complètement bouleverser le marché du travail.
Ainsi, avec Hartz IV, les allocations chômages "pleines" (Arbeitsolsengeld I) ne sont plus versée pendant 32 mois mais 12 mois (18 mois pour les plus de 55 ans), ensuite, les allocations baissent à 374 € par mois pour une personne (Arbeitsolsengeld II), auquel il faut ajouter le paiement complet d'un logement « décent » (en dessous d'un plafond de 280 € par mois), l'assurance maladie et une cotisation retraite. Pourtant à l’instar de Brigite Lestrade, auteure d’une étude sur les réformes Hartz IV certains pointent la mise en place d’un système qui, aurait progressivement fait passer plusieurs millions d’allemands des listes de chômeurs à ceux de “quasi-chômeurs” ou travailleurs pauvres. La chercheuse estime à 6,6 Millions de personnes (dont 1,7 millions d’enfants) les bénéficiaires d’Hartz IV. Les 4,9 millions d’adultes sont en fait des chômeurs, des “quasi-chômeurs” (qui travaillent moins de 15 heures par semaine) ou des précaires. Les plus touchés sont les familles monoparentales et les seniors. Ils ne figurent pourtant pas dans les chiffres du chômage, qui ne prennent en compte que les bénéficiaires de l’Arbeitsolsengeld I.
Autre point important de la loi Hartz IV : la création des jobs à 1€ ! En effet, non seulement si un chômeur de longue durée refuse un emploi son indemnité baisse, mais de plus ces chômeurs peuvent être embauchés à des salaires inférieurs (1€/heure) à la convention collective du secteur ! Selon les derniers chiffres disponibles (provenant de la Fondation Friedrich Ebert) 1,2 million de salariés gagneraient aujourd’hui entre un et cinq euros de l’heure.
Ces réformes ont évidemment été très contestées par l'opinion publique. D'importantes manifestations ont eu lieu durant le temps de ces réformes mais sans impact sur la décision finale de la chancellerie. Un entrepreneur allemand, Götz Werner a dénoncé l'aspect contraire aux Droits de l'Homme de la loi Hartz estimant dans une interview que Hartz conduit au travail forcé. Ces jobs à 1€ sont d'ailleurs de plus en plus contestés. Angela Merkel a d'ailleurs annoncée fin 2011 lors d'un congrès du parti chrétien-démocrate (CDU) à Leipzig qu'elle souhaitait mettre en place un salaire minimum pour chaque secteur (négocié entre les partenaires sociaux et le patronat). Une décision qui a été reconfirmée en avril par le CDU (ndlr : les élections régionales sont prévues le 13 mai en Rhénanie du Nord-Westphalie, l'État régional le plus peuplé d'Allemagne et les élections législatives auront lieu l'année prochaine). Le patronat allemand dénonce une mesure électoraliste dangereuse destinée à obtenir les voix de la gauche.
Les retraites
Comme aux Etats-Unis, les retraités distribuent des journaux, rangent les étagères dans les supermarchés, font des sondages par téléphones… Plus de 660 000 retraités allemands doivent travailler à temps partiel pour compléter leur pension. Un nombre en hausse constante: la multiplication des mini-jobs et des faibles salaires donne nécessairement des retraites de misère. Introduits par les réformes Hartz IV au début des années 2000, les contrats appelés Mini-Jobs permettent aux employeurs d’être exonérés de charges tant que le salaire ne dépasse pas les 400 euros par mois. Le nombre de retraités forcés à travailler pour survivre a ainsi augmenté de plus de 58% en 10 ans !
Des seniors allemands au travail - www.humanite.fr |
Mais avant d'avoir accès à ce genre de retraites dorées, un allemand ne devra pas travailler jusqu'à 62 ans comme en France, mais jusqu'à 67 ans (65 ans avant 2007). Or l’âge effectif de départ à la retraite de ce côté du Rhin est de 62,1 ans pour les hommes et de 61 ans pour les femmes selon l’OCDE. Et le taux d’activité des personnes entre 50 et 65 ans n’est même pas de 70%. Une hausse de l’âge légal de départ ne revient donc ni plus ni moins qu’à une baisse déguisée du niveau des prestations (car si le travailleur part plus tôt en retraite, ses prestations ne lui seront pas versée complètement). Enfin, une récente étude (confirmée par des chiffres officiels) montrent que les salariés les moins bien payés vivent deux ans de moins qu’il y a dix ans.
Impact de ces politiques sur la zone Euro
L’Allemagne est accusée par l’Organisation internationale du travail (OIT) d’être “la cause structurelle” de la crise de la zone euro. Rien de moins… Dans un rapport publié mardi 24 janvier, l’institution onusienne basée à Genève tire à boulet rouge sur les réformes libérales lancées par Gerhard Schröder en 2003 : "L’amélioration de la compétitivité des exportateurs allemands est de plus en plus identifiée comme la cause structurelle des difficultés récentes dans la zone euro".
Les mini-jobs et autres contrats payés aux lance-pierres (comme les fameux Jobs à 1€) auraient donc un important impact au niveau européen puisque ce dumping social aurait gravement affecté la compétitivité des voisins de l'Allemagne (notamment la France).
Le modèle allemand : entre réussite économique et échec social
Nous l'avons donc vu : cette soit disant réussite économique allemande cache bien des drames sociaux et d'importantes lacunes. A l'heure ou les 2 candidats au second tour de la présidentielle (N. Sarkozy et F. Hollande) nous promettent des miracles en voulant copier le modèle allemand, il faut désormais se demander si nous souhaitons réellement la fin de notre modèle social et salarial généreux. Est-ce vraiment le prix à payer pour une relance de la France ou existe il des solutions ? Si il y en a, nos dirigeants (français et européens) ne semblent pas vraiment s'en préoccuper étant donné les dernières nouvelles. La flexibilité du marché du travail est dans la bouche de tous, et les rumeurs sur la suppression du CDI (contrat à durée indéterminée) s’amplifient de jour en jour. Si F. Hollande pourrait à priori s'opposer à ce genre de réformes, on peut douter de sa capacité à résister à la pression des marchés, du FMI et de Bruxelles qui y sont grandement favorables.
A noter cependant que les dirigeants européens ont annoncé ces derniers jours vouloir relancer la croissance, hors réformer ainsi le marché du travail serait plus ou moins incompatible avec de la croissance. En effet, on constate que, outre-Rhin, la consommation privée a fortement souffert de cette situation puisqu’elle n’a progressé que de 0,9% de 2007 à 2010 alors qu’elle progressait dans le même temps de 4,2% en France, selon l’OCDE.
Affaire à suivre...
Samuel Cour
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