Un barrage géant sème le désarroi au Brésil

Au coeur de l'Amazonie brésilienne, huit mille travailleurs et des centaines de camions et d'engins construisent le troisième plus grand barrage au monde, une oeuvre colossale qui provoque le désarroi des Indiens sur les rives du Xingu...

Au moment où le Brésil s'apprête à accueillir fin juin le sommet de l'ONU Rio+20 sur le développement durable, la centrale hydroélectrique de Belo Monte, d'un coût de 13 milliards de dollars, est l'exemple des dilemmes de la sixième économie mondiale.

D'un côté, le Brésil a réussi à réduire de façon considérable la déforestation et affirme avoir la source énergétique la plus propre parmi les grandes économies. De l'autre, il a lancé de gigantesques projets d'infrastructure, dont des barrages et des routes en Amazonie, pour accompagner son développement.

Belo Monte a gagné une notoriété mondiale avec la campagne menée contre le barrage par des célébrités comme le chanteur Sting et le réalisateur à succès de Titanic et d'Avatar, James Cameron.

Environ 900 camions et équipements lourds vont et viennent dix-sept heures par jour. A la fin de l'année, il y aura 12.000 ouvriers travaillant jour et nuit, et 22.000 en 2013. La première turbine entrera en opération en 2015 et la dernière en 2019.

Le début des travaux, il y a un an, a fait exploser la ville d'Altamira, à 40 km du barrage, reliée au reste du pays par la Transamazonienne, cette route qui traverse de part en part l'Amazonie et n'est asphaltée que sur quelques kilomètres. La population de 100.000 habitants a augmenté de 50%, les services de santé et d'éducation sont débordés, les coupures d'électricité de plus en plus fréquentes et le trafic chaotique, explique Vilmar Soares, coordinateur de Fort Xingu, une association regroupant commerçants, organisations de quartiers et les églises.

Quelque 6.000 familles se préparent à abandonner leurs maisons qui seront inondées. "Je ne veux aller nulle part ailleurs", se lamente Helinalda de Lira Soares, au côté de ses trois petits enfants, bien qu'elle vive dans un quartier de palafitas, ces baraques sur pilotis, devant un dépôt d'ordures. Ni elle ni ses voisins ne savent où ils iront.

"Les travaux avancent vite mais les oeuvres sociales pour la ville et les communautés vont très lentement", dénonce Helinalda. On se sent très menacé, disent les Indiens 

Le consortium hydroélectrique et le gouvernement se sont engagés à financer le développement régional et des communautés indigènes, la construction d'écoles et d'hôpitaux.

Dans sept ans, Belo Monte produira 11.000 MW (près de 11% de la capacité installée du pays), de quoi alimenter 20 millions de foyers. Il sera le troisième plus grand barrage au monde après ceux des Trois Gorges en Chine et celui d'Itaipu, à la frontière du Brésil et du Paraguay. Il inondera 502 km2, doublant l'espace occupé aujourd'hui par le fleuve.

Aucune terre indigène ne sera inondée, selon les autorités, mais les 2.000 Indiens vivant dans la région du Xingu peuvent pâtir de la baisse du niveau du fleuve. Nous vivons de la pêche et nous allons subir un assèchement bien plus grand du fleuve. Nous nous sentons très menacés, a dit à l'AFP Marino Felix Juruna, fils du chef de la communauté Paquiçamba, qui regroupe soixante familles de l'ethnie Juruna, à trois heures d'Altamira par barque rapide.

En arrivant au village, sur une petite colline surplombant le fleuve, on est surpris de découvrir à côté de l'unique petite école, des antennes paraboliques flambant neuves et de nouvelles barques aux moteurs puissants, cadeaux de Norte Energia, le consortium public-privé chargé de la construction du barrage.

Comme les Indiens étaient les seuls à représenter une menace pour les travaux, on les achète avec des barques et des biens, dénonce José Cleanton, coordinateur du Conseil indigène missionnaire (Cimi) de l'Eglise catholique. 

En autorisant les travaux, l'Institut de l'environnement et la Fondation de l'Indien, deux organismes publics, ont assuré que le barrage assurerait un débit d'eau suffisant pour maintenir les écosystèmes et les populations indigènes.

Jusqu'à présent, tous les grands travaux en Amazonie se sont traduits par de la déforestation. Certains, toutefois, estiment que, cette fois-ci, ils pourraient être positifs.

"La vie de ma famille s'est améliorée de 100%", explique Luci Cleide, l'une des mille femmes employées sur le site.

Mais beaucoup craignent plus de dégâts que de bienfaits. Ils disent qu'il s'agit de grands travaux de développement mais cela n'a pas apporté plus d'argent à la population. Nous voulons nos rivières et la forêt, a déclaré Antonia Melo, l'un des principaux porte-parole du groupe Xingu Vivo, qui regroupe écologistes et habitants hostiles au barrage.

Samuel Cour

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