Alors qu'elle pensait se rapprocher de la sortie de crise après trois ans de tempêtes économiques, financières et politiques, la zone euro est aujourd'hui rattrapée par les difficultés de Chypre, qui semblent combiner certains des pires problèmes des dossiers grec, espagnol et irlandais...
Selon les dernières estimations des analystes, Chypre a besoin de 17,5 milliards d'euros d'argent frais, dont 10 milliards pour ses banques. Un montant faible dans l'absolu mais qui représente près de 100% de son produit intérieur brut (PIB), près de trois fois plus que dans le cas du Portugal.
Bien sûr, la zone euro peut se permettre d'accorder une telle aide. Le problème, c'est que la République de Chypre et ses 800.000 citoyens risquent de ne jamais être en mesure de la rembourser.
Autre difficulté: le Fonds monétaire international (FMI) ne prendra pas part au plan d'aide, ce qui pourrait mettre en doute la crédibilité de celui-ci.
"Chypre est, au niveau national, le risque le plus grave auquel la zone euro est confrontée aujourd'hui", a déclaré la semaine dernière Charles Dallara, de l'Institut de la finance internationale (Ifi), la fédération d'institutions financières qui a négocié la restructuration de la dette grecque l'an dernier.
La toute première demande d'aide extérieure de Chypre date de juin dernier mais les discussions régulièrement interrompues engagées depuis avec la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le FMI n'ont pas permis d'aboutir.
Les négociations doivent entamer un nouveau cycle après l'élection présidentielle prévue à Chypre le 17 février, ce qui peut théoriquement permettre un examen d'un projet de plan d'aide par les ministres des Finances de la zone euro fin mars. Mais certains responsables européens estiment que les pourparlers pourraient se prolonger jusqu'en mai.
Quoi qu'il en soit, les grandes lignes probables du plan sont déjà évoquées à Bruxelles et Nicosie, à savoir un programme de privatisations, une réforme des retraites, un impôt exceptionnel et une restructuration en profondeur du secteur bancaire. Mais même appliquées en totalité, ces mesures ne généreraient pas de recettes ou d'économies suffisantes pour permettre de ramener la dette chypriote à un niveau soutenable.
Si le ratio d'endettement avoisine aujourd'hui 80%, un renflouement extérieur le porterait sans doute à 140% ou 150%, estime-t-on à Bruxelles. Au FMI, on préconise un ratio inférieur à 120%, voire plus proche encore de 100% pour rendre la situation gérable.
Cette démarche implique donc des mesures plus radicales, y compris la possibilité d'imposer des pertes aux créanciers de Chypre - ce que l'UE exclut - et notamment à ses banques.
"Pour nous, cela n'est pas une option" a déclaré à Reuters Olli Rehn, le commissaire européen aux Affaires économiques et financières, en réponse à une question sur la possibilité d'un effacement partiel de la dette, ajoutant: "Nous travaillons à réduire le fardeau de la dette de Chypre."
Premier casse-tête pour les négociateurs : la majeure partie de la dette souveraine de Chypre est détenue par ses banques, ce qui signifie qu'une décote risquerait d'exacerber les difficultés du secteur au lieu de les résoudre. En outre, la majeure partie de cette dette est régie par le droit anglais, ce qui complique beaucoup toute restructuration.
Une autre option, plus compliquée, consisterait à imposer des pertes aux banques chypriotes, lourdement endettées et très dépendantes des dépôts étrangers, russes notamment.
Un projet de plan d'aide prévoit d'obliger Nicosie à fermer les établissements de crédit non-viables et à imposer des pertes non seulement aux actionnaires des banques mais aussi à certains de leurs créanciers obligataires, expliquent plusieurs responsables. Certains évoquent aussi la possibilité de geler les dépôts bancaires supérieurs à 100.000 euros pour les utiliser comme garantie, une approche que des analystes jugent risquée et inappropriée. "S'ils veulent la panique aux guichets ou un effondrement quasi-complet du système bancaire, qu'ils essaient !", a déclaré un gérant de "hedge fund" qui suit de près le dossier chypriote.
Le système bancaire local regroupe environ 70 milliards d'euros de dépôts, dont un peu moins de la moitié appartiennent à des non-résidents, russes en premier lieu selon les estimations même si la banque centrale ne publie pas leur répartition par nationalité. Moscou, qui entretient des relations étroites avec Chypre depuis de longues années, a prêté l'an dernier 2,5 milliards d'euros à Nicosie et pourrait soit augmenter, soit prolonger ce prêt à cinq ans.
L'influence de la Russie - associée par l'UE aux discussions selon Olli Rehn - pourrait compliquer encore la résolution du problème, surtout si celle-ci implique d'imposer des pertes aux déposants étrangers... ou de venir en aide, même indirectement, à de riches citoyens russes ayant choisi d'abriter une partie de leurs avoirs dans des banques chypriotes. "'Un renflouement pour des oligarques russes', c'est le pire des titres qu'on puisse imaginer", juge un responsable de l'UE.
Chypre n'est toutefois pas totalement dépourvu d'atouts : l'Etat a identifié dans ses eaux des réserves de gaz naturel dont la valeur s'estimerait en dizaines de milliards d'euros. Même si ce gaz ne sera pas exporté avant 2019 ou 2020, les futures recettes pourraient être titrisées. Une source de revenus hypothétique et difficile à valoriser mais que ni l'UE, ni la Russie ne peuvent se permettre d'ignorer.
Source : Reuters
©Crédit photo : REUTERS/Alex Domanski
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